Débutons par un petit rappel historique. En 1828, on relève sur le plan cadastral napoléonien que la commune d’Anneville sur Seine possédait près de 40% du territoire. La famille Darcel était propriétaire de 26 %. Les 34% restant se partageaient entre une dizaine de propriétaires, des laboureurs, disait-on avant la Révolution. C’étaient les familles Hulin, Paillard, Fleury, Mauger, Deric et aussi quelques nobles tels que les marquis d’Estampes et de Graville…

Mais quelles étaient les conditions de vie de ceux qui ne possédaient rien ? Certains avaient un lopin de terre soit au Marais, soit au Sablon pour les moins chanceux. Là, la terre est moins riche.

Pour la plupart d’entre eux, ces courageux annevillais exerçaient des métiers modestes tels que domestiques, journaliers… Ces derniers se louaient à la journée pour des tâches bien spécifiques, pour des travaux aux champs, à la ferme, au bois etc. Les femmes étaient servantes de ferme, employées à gages, logées, nourries mais peu ou pas payées.
Les plus aisés d’entre eux étaient peut être les fermiers qui louaient les biens ainsi que les métayers, autrement dit les gérants de fermes.
Le terme de métayage vient étymologiquement de « moitié » signifiant un partage par moitié des produits. C’est l’association d’un propriétaire qui apporte le capital et d’un métayer qui propose son travail. Le propriétaire intervient souvent directement dans la gestion de l’exploitation, mais c’est le métayer qui gère au quotidien.
Actuellement tout métayer peut à volonté faire transformer son métayage en fermage, sans que le propriétaire puisse s’y opposer. Les baux à ferme se renouvellent perpétuellement par tacite reconduction.
Ainsi les fermiers de la ferme de la Cheminée Tournante ont « tourné ». Avant 1923 c’était Monsieur Richer issu d’une vieille famille de laboureur annevillaise mentionnée en 1797 sur les registres d’état civil. Le successeur fut Monsieur Guilbert dont les ancêtres sont cités à Anneville en 1765. Enfin, Louis Alphonse Chéron venant de Sahurs prend le fermage en 1923 et c’est ainsi que des témoignages recueillis par Nicolas de Warren nous sont parvenus :
« La ferme occupait des charretiers, des vachers, les emplois ne manquaient pas ! De plus, quantité de bâtiments à usages pratiques étaient édifiés dans la cour de la ferme : porcherie, buanderie, four à pain, granges à foin…
Jusqu’à la dernière guerre il y avait une barque à l’ancre à proximité de la grève, en face de l’escalier du château. Elle servait à la promenade, à la pêche, à traverser la Seine… Par exemple c’était utile et agréable de se rendre à la fête de Mesnil sous Jumièges en canot. Chaque ferme du bord de Seine, (elles étaient nombreuses avant guerre) avait sa barque pour plus d’autonomie. Le fleuve ne faisait pas peur aux paysans ! »

Un autre exemple : René Chéron l’empruntait pour se rendre à son cours de solfège sur l’autre rive.
Pourquoi un fermier ne serait-t-il pas sensible à la musique ! « Toutes ces pratiques se perdirent lors de l’arrivée des grands navires. Leurs grosses vagues provoquées à leur passage étaient trop dangereuses pour les frêles embarcations. »
Mais revenons sur le plancher des vaches et soulignons que « Le premier tracteur, un Massey Ferguson est arrivé en 1946 dans le cadre du plan Marshall. »

Autre détail qui a sa solennité : « Le comte Louis de la Morandière venait une fois par an au château de la Cheminée Tournante, invariablement un dimanche après-midi d’août. Le but du voyage était de rendre visite à son fermier Ernest Chéron et de repartir avec des cageots de Reine-Claude. Notons un évènement qui avait son importance pendant la guerre. Monsieur le comte arriva avec un sac de café vert qu’il avait rapporté de Madagascar. Soigneusement grillé à la ferme, il fut dégusté avec le bonheur qu’on imagine. »

Moralité : retrouver l’arôme d’une tasse de café décuple le plaisir de la déguster quand la guerre à provoqué sa rareté !
Profitons donc des petits bonheurs qui nous sont offerts à chaque instant alors que nous n’en avons pas toujours bien conscience.

Gilbert Fromager