Nicolas Mayer-Rossignol a été élu Président de la Métropole le 15 juillet. Il succède à Yvon Robert. Rencontre

Quelles sont vos origines familiales ?

Du côté de ma mère (‘Mayer’, nom d’origine alsacienne) la famille est pied-noir, de Constantine en Algérie. Pour ma part je suis né à Bordeaux, il y a 43 ans. J’ai vécu mes premières années à Bamako, au Mali.

Puis ma mère est rentrée en France et nous a élevés seule avec mon petit frère Clément.

Et votre parcours ?

Je dois beaucoup à l’école de la République : grâce à une bourse, j’ai eu la chance de pouvoir faire des études scientifiques à l’école Normale Supérieure rue d’Ulm, puis à l’Université de Stanford en Californie et à l’école des Mines de Paris. J’en ai gardé le goût du travail, de l’ouverture d’esprit, de l’innovation, et un profond respect pour celles et ceux qui se battent pour l’éducation, l’Enseignement, la Recherche.

J’étais aussi militant d’ATTAC, pour l’instauration d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale. Combat toujours d’actualité.

Votre vie professionnelle est variée ?

La politique ne doit surtout pas être un métier. C’est d’abord un engagement, une passion. Pas une carrière. Pour bien "faire" de la politique, il faut en être véritablement indépendant et avoir une réelle expérience professionnelle. J’ai travaillé dans une usine de chaussures pour enfants en France, une entreprise de bio-informatique en Allemagne, un laboratoire de recherche aux états-Unis, dans l’administration française et européenne, à Paris et à Bruxelles. Avoir une double expérience privé/public est utile pour mieux comprendre le quotidien de nos concitoyens.

L’Europe m’a toujours passionné. Partisan d’une autre Europe, plus solidaire, plus démocratique, je voulais comprendre son fonctionnement de l’intérieur.
J’ai ainsi passé cinq années à la Commission européenne, où je travaillais dans le secteur des médicaments et des biotechnologies. C’était au moment de l’arrivée des pays de l’Est, en 2004, du débat sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Une expérience extraordinaire. Notre première fille est née à Bruxelles.

Comment se crée le lien avec la Métropole Rouen Normandie ?

En 2008, j’ai rejoint Laurent Fabius en Seine-Maritime pour contribuer à créer la Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA) qui allait devenir la Métropole Rouen Normandie. à l’époque, elle faisait débat. Rares sont ceux qui en contestent aujourd’hui la pertinence, même si des points restent à améliorer (proximité et gouvernance collective notamment). J’ai aussi contribué à la naissance du Festival Normandie Impressionniste.

Je suis un homme de gauche, socialiste. Je pense profondément que le monde tel qu’il va (ou ne va pas…) n’est pas soutenable, ni au plan écologique, ni au plan social. Je me bats, à mon modeste niveau, pour plus de justice et moins d’inégalités.

De 2013 à 2015, Président de la Région Haute-Normandie, j’animais une majorité politique rassemblant plusieurs forces de gauche, mais aussi des personnalités progressistes de la société civile. Sous notre mandat, la Haute-Normandie était d’après la Cour des comptes l’une des régions les mieux gérées de France. J’ai travaillé avec des élus de tous bords, de tous les territoires.

On peut avoir ses convictions personnelles et se rassembler, sans sectarisme, pour porter l’intérêt général autour d’objectifs communs. C’est le fil conducteur de mon engagement public.

Vous vivez ensuite une nouvelle expérience dans le privé ?

Après les élections régionales de fin 2015, j’ai recherché une activité professionnelle. Comme beaucoup de Français j’ai cherché du boulot, passé des entretiens d’embauche. De 2016 à 2020 j’ai été salarié du groupe Nutriset, PME normande familiale indépendante qui depuis 35 ans se bat contre la faim dans le monde. Nutriset c’est passionnant, c’est utile, c’est normand ! J’ai aussi été (modeste) bénévole aux Restos du Cœur de Rouen, avec lesquels j’ai régulièrement fait des maraudes à la rencontre des personnes sans domicile fixe.

Bien entendu, depuis mon élection comme Maire de Rouen et Président de la Métropole j’ai cessé toute activité professionnelle.
 
Côté sport et culture, qu’est-ce qui vous fait vibrer ?

J’ai toujours pratiqué de nombreux sports de balle ou de ballon : le tennis et le foot en compétition, basket, volley… Et la course à pied pour m’entretenir. Mon épouse est native de Castres, nous sommes des mordus de rugby !

Côté culture, je suis curieux de tout et éclectique. Avec une passion avouée pour la musique sous toutes ses formes. Quand j’ai un peu de temps je pratique encore la guitare jazz, pop, rock, hard-rock, manouche, classique.

Comment vous préparez-vous à la crise sanitaire ?

La crise sanitaire n’est malheureusement pas derrière nous. Le rôle des élus locaux est d’anticiper et de prévoir – même le pire.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité la création d’une vice-présidence de la Métropole pour la santé, la sécurité sanitaire et industrielle, que j’ai confiée à Charlotte Goujon.
Concrètement, nous avons dès notre élection mis en place un stock stratégique local de masques. À notre demande le Préfet a pris des arrêtés d’obligation du port du masque dans certains secteurs. Cette décision n’est peut-être pas toujours populaire, mais nous l’assumons. Nous devons tout faire pour éviter un reconfinement, qui serait un cauchemar. Mieux vaut agir fort, simple et tôt, que trop tard, trop petit, trop compliqué. Oui, porter un masque peut être pénible. Mais mieux vaut être masqué que reconfiné. Nous avons aussi pris des mesures fortes pour soutenir l’économie, le commerce, l’emploi local. Nous devons également renforcer la formation de la population, avec l’appui des entreprises et des établissements publics, aux gestes qui sauvent et qui protègent.

Enfin nous allons poursuivre et amplifier notre politique métropolitaine de soutien au développement de maisons de santé pour lutter contre la désertification médicale, ainsi qu’aux établissements de santé (CHU, CHI…) et au campus Santé Martainville.

La gratuité des transports en commun le samedi fait partie de vos premières décisions...

C’était un de nos engagements de campagne. à partir du samedi 5 septembre, la totalité des transports en commun gérés par la Métropole (réseau Astuce) sera en accès gratuit tous les samedis. C’est bon pour lutter contre les émissions de CO2, les embouteillages. Le samedi, c’est bon aussi pour le commerce ! Il s’agit d’une expérimentation qui durera un an. Nous ferons le bilan pour déterminer si la gratuité peut être étendue ou non. Nous allons aussi travailler sur la tarification solidaire, l’amélioration de Filor, de la liaison Rouen-Elbeuf, des dessertes transverses des plateaux, le développement massif des pistes cyclables et des services vélos… Il y a du travail !

Dès le début de votre mandat, vous avez décidé un moratoire sur le projet d’urbanisation d’une partie de la Forêt du Madrillet ?

On ne peut pas dire d’un côté, « il faut se battre contre le réchauffement climatique, lutter contre l’artificialisation des sols », et de l’autre côté mener les mêmes politiques foncières qu’il y a trente ans. A l’issue d’entretiens avec les associations environnementales, en plein accord avec les maires des communes concernées (Petit-Couronne et Saint-étienne-du-Rouvray), nous avons décidé un moratoire sur le projet d’extension de la ZAC du Madrillet à l’ouest des équipements existants. Cette forêt c’est un poumon vert, une respiration pour tant de nos concitoyens ! Il fallait la protéger.
 
Quels sont les avantages pour le territoire et les habitants que le Maire de Rouen soit également Président de la Métropole ?

Il faut dire la vérité : entre la Ville et la Métropole la plupart de nos concitoyens sont perdus, ils ne savent pas "qui fait quoi" ! Dans la plupart des grandes villes de France, le Maire est aussi Président de son agglomération. Pourquoi ? Parce que c’est plus simple, plus clair, plus efficace. C’est justement ce dont nous avons besoin ici : de simplicité, de clarté, d’efficacité. Avoir les deux leviers nous permettra d’agir plus simplement, plus directement et plus fortement au service de l’intérêt général, quel que soit le moyen administratif (communal
ou métropolitain).

Bien sûr, c’est un travail d’équipe ! Avec tous les élus métropolitains et en particulier les vice-présidents, les membres du Bureau et les élus de la majorité métropolitaine, nous représentons tous les territoires de la Métropole. Dans leur diversité. Avec leurs atouts, leurs contraintes, leurs attentes. Comme je l’ai fait lorsque j’étais Président de Région, j’aurai la même écoute et la même attention pour toutes les communes – quelles que soient leur taille, leurs spécificités et pour tous les élus municipaux – quelle que soit
leur sensibilité.

Le mode de désignation du conseil métropolitain et du Président de la Métropole doit-il changer ?

Avec près d’un milliard d’euros, le budget de notre Métropole est aujourd’hui le second budget public de toute la Normandie, après celui du Conseil Régional. De nombreuses compétences, et pas des moindres (voirie, déchets, transports, environnement, tourisme…), ont été transférées à la Métropole. C’est dire l’importance du fait métropolitain. Je trouverais donc logique et plus démocratique que son Président et son équipe soient élus au suffrage universel direct. Mais seule une loi peut changer cela.

Un lieu emblématique du territoire ?

L’ancien site de Pétroplus, de l’ex-raffinerie Shell. Elle ferme en 2013. 250 hectares pollués, un territoire meurtri dans son cœur. Nous nous sommes battus pour le revitaliser. Aujourd’hui le site, devenu Pôle d’innovation des Couronnes, accueille le siège de Valgo, leader européen de la dépollution des friches, ainsi que de multiples entreprises spécialisées dans l’écoconstruction, la dépollution, l’économie circulaire.

Des centaines d’emplois durables sont créés. Là réside une des clés de notre avenir : dépolluer nos friches, construire un nouveau modèle économique, non pas contre mais avec nos entreprises. C’est une source de valeur ajoutée, d’emploi, d’attractivité et de rayonnement.

Quel avenir pour le Panorama XXL ?

Je souhaite y mettre un terme. L’expérience, même si elle est intéressante à plusieurs égards, ne me paraît pas globalement concluante.

Vous avez rapidement mis l’accent sur Rouen Capitale européenne de la culture 2028 ?

C’est un projet stratégique pour toute notre Métropole. Il doit être construit d’abord par les artistes eux-mêmes, avec l’appui de toutes les forces vives : entreprises, associations, citoyens, pouvoirs publics. Le dépôt de notre candidature doit être réalisé en 2022, cela arrive très vite ! J’aurai l’occasion d’en reparler très bientôt.

Il y a presque un an, la Métropole était traversée par l’épais nuage de fumée de l’incendie de Lubrizol. Quels enseignements tirez-vous de cette catastrophe ?

Le 26 septembre 2019 a été un choc. Si l’action des pompiers, des services publics et des salariés du site pour éteindre l’incendie est à saluer, la gestion de l’accident, en particulier la communication et l’information aux habitants, a révélé de nombreuses défaillances. Plus jamais ça !

Que faire ? D’abord éviter deux démagogies : faire l’autruche comme s’il ne s’était rien passé, et risquer de nouveaux accidents ; ou faire croire qu’en fermant ou en éloignant des Lubrizol, tout serait réglé. Ce n’est pas vrai. Il y a de nombreux autres sites industriels "Seveso seuil haut" dans notre agglomération. Il faut une approche globale et concrète. Nous proposons un chemin exigeant, précis, responsable.

Nous défendrons les victimes de l’accident et relaierons leurs attentes. Nous agirons fermement pour obtenir la vérité sur ce qui s’est réellement passé. Nous demanderons à l’État le suivi sanitaire de la population dans la durée, pour détecter les éventuelles conséquences de long terme sur la santé des habitants.

Nous ne transigerons jamais sur la sécurité. Nous demanderons un audit sur l’ensemble des sites Seveso : quelles nouvelles mesures ont été prises pour garantir la sécurité ? Comment le risque lié aux intrusions est-il géré ? Les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) seront réévalués. La Métropole dégagera des moyens pour mieux mesurer la qualité de l’air, en lien avec les laboratoires et les associations.

Quelles mesures prendre pour que les citoyens soient mieux informés et associés aux décisions ?

J’ai d’ores et déjà demandé au Préfet et au Gouvernement que l’État mette très rapidement en place des systèmes d’alerte dignes de notre siècle – pas des sirènes de la Seconde Guerre mondiale ! Des exercices pour former tous les habitants au risque industriel, pas seulement dans les écoles, devront être conduits. Les citoyens doivent être bien mieux informés et associés aux choix politiques : panels citoyens, portes ouvertes des sites industriels, expertises indépendantes...

Quant au quartier Flaubert, il sera repensé avec les citoyens concernés pour y intégrer, notamment, une forêt urbaine, véritable "écran végétal", dans le secteur le plus proche des usines.

Il faut aussi préparer l’avenir : notre tissu économique doit se transformer. Plutôt que de subir, anticipons. Nous mettrons en œuvre un véritable plan de transition en accélérant la dépollution des friches, en accompagnant la reconversion des sites, en favorisant l’implantation d’activités écologiquement vertueuses et pourvoyeuses de valeur ajoutée
et d’emplois.

A plus long terme, quelle est votre vision pour que notre territoire reparte de l’avant ?

Crise sanitaire, écologique, économique, sociale, démocratique… Oui, la situation est très difficile. Mais nous avons tous les atouts pour rebondir ! Avec l’incendie, l’image de notre territoire a été abîmée. Face à cette crise, ma vision est claire : "faisons du judo" : transformons cette faiblesse en opportunité. Devenons la référence en matière de dépollution des sols. D’amélioration de la qualité de l’air. De transition énergétique. De logistique durable. De valorisation des ressources. D’utilisation du fleuve et du rail. En un mot, devenons les champions de l’ère post-carbone. Faisons de la Métropole une éco-Métropole. Une Capitale de la Transition social-écologique. Pas dans les mots. Dans les actes.