Le léger labour de 20 centimètres de profondeur maximum imposé par un sol truffé de pierres a suffi pour remonter le temps depuis 263 après Jésus Christ. C’est dans un mouchoir que le cultivateur rassemble sa trouvaille et ce n’est que le lendemain qu’il déclare sa trouvaille à Monsieur Gibouin maire de la commune. L’ensemble du trésor composé de 231 monnaies d’argent, plus ou moins pur, est aussitôt remis à Michel Mangard de la Commission départementale des Antiquités qui le confie un peu plus tard, pour expertise, au cabinet des médailles des Antiquités de Rouen.

Il est utile de préciser que le contexte archéologique est favorable aux vestiges antiques. Un site gallo-romain est avéré à plusieurs reprises lors du tracé de la route reliant Anneville à Bourg Achard, sur les terres de la Seigneurie, en 1848 et en 1860, là un auréus (monnaie d’or) de l’empereur romain Trébonien Galle est trouvé par des archéologues. Cette route suit le tracé d’une ancienne voie qui, vraisemblablement, est une voie romaine remontant vers la Seine et Duclair. Un hameau nommé « La Chaussée » à 800 mètres au sud du village explique cette éventualité.
D’autres vestiges archéologiques sont découverts en 1969 autour de l’église dans le cimetière huguenot. A « La Longue Fosse », lieu dit de la découverte du trésor, quantité de pierres de construction, de moellons noircis par des incendies, tuiles, meules en poudingue sont ramassés couramment.

Mais dans quel contexte historique ce trésor est il enfoui ?

L’enfouissement est estimé vers le début de l’année 263, saison où le fleuve est le plus favorable à la navigation. Il est probablement provoqué par un raid de pirates saxons ou francs remontant la Seine. Autre hypothèse, il peut s’agir d’une manœuvre de la flotte de Postume (empereur gaulois 260-269) sur la Basse Seine pour combattre la piraterie. A cette époque trouble, les Annevillais, entre autres, ont autant à redouter des barbares que des soldats.

C’est ainsi que devant l’adversité, les propriétaires dela villa de la « Longue Fosse » ont enterré leur argent. Il s’agit d’une « tirelire » de 8 deniers et 223 antoniniens. Elle donne en quelque sorte une image de la monnaie en circulation dans l’Occident romain. C’est surtout une accumulation de monnaies choisies à l’époque de Gordien (238-244) et Philippe (244-249) totalisant près de 140 monnaies à l’effigie de ces deux empereurs. Le reste des monnaies est partagé entre une dizaine d’autres empereurs et certaines de leur épouse : 3 de Septime Sévère, 7 de Elagabal, 3 de Alexandre Sévère, Julia Mamaé, 1 de Maximin, 1 d’Otacilie, 13 de Trajan Dèce, Etruscille, Herennius, Hostilien, 17 de Trébonien Galle, Volusien, 36 de Valérien, Gallien Salonin…). Il convient de souligner la faible part du monnayage de l’empereur le plus récent, Postume pourtant courant, 10 antoniniens seulement. Ce fait s’explique certainement par la lente circulation des monnaies nouvelles. La plus ancienne est de Septime Sévère (193-217).

Les deux trésors découverts dans la vallée de la Seine, l’un à Jumièges, l’autre à La Mailleraye n’ont malheureusement pas de date d’enfouissement. S’ils avaient été enterrés vers 263, ils auraient étayé l’hypothèse de l’abandon de la fortune devant l’invasion barbare comme c’est le cas des trésors trouvés à Bosc le Hard et à Dampierre en Bray.
Le trésor d’Anneville n’est pas très original. Sur la courbe du nombre des magots enfouis, toutes époques confondues, il se situe au sommet. Selon les statistiques de 1980, sur 45 trésors du III ° siècle, 18 ont été enfouis sous les empereurs gaulois, époque trouble qui se situe vers 260 due à la crise politique, militaire, économique que traverse l’empire. [1]

Les revers sont de véritables supports de propagande pour traduire le bonheur des temps, les victoires, la paix, les fêtes du millénaire de Rome, les dieux ancestraux tels que Jupiter, Junon, Minerve. Il est aussi possible d’y lire les lieux où les monnaies ont été frappées en Italie, en Germanie… Le magot annevillais possède des revers rares. En terme numismatique, la monnaie exceptionnelle est à l’effigie du jeune Valérien II. Sa titulature [2] COR. LIC. VALERIANUS CAES est si peu commune qu’on ne l’a pas rencontrée depuis le XIX° siècle. D’autres monnaies sont rares comme celle d’Otacilie avec au revers ANNONA AVGG, celle de Gordien III avec DIANA LUCIFERA, celle de Philippe II avec SAECULARES AVGG…3
Une vingtaine d’années plus tard mais toujours au temps des usurpateurs gaulois, les cachettes, constituées sous le règne de Carausius (286-293), d’Oudalle et de Sandouville comportent des monnaies frappées à l’atelier monétaire de Rouen. Plus tard, dans celui de Petit Couronne, les historiens rencontrent en abondance des minimi [3]ou frappes barbares à l’effigie de Tétricus.

Peu après 260, le point critique est atteint : le billon (alliage d’argent) a un contenu si faible en métal précieux qu’il a maintenant une apparence plus proche du bronze que de celle d’un alliage argenté, la crise monétaire n’a jamais été aussi visible. Les monétaires sont obligés de recourir de plus en plus à l’artifice de l’argenture superficielle pour rendre une apparence acceptable au monnayage de billon. Plus on avance dans le Bas-Empire moins il y a de trésors [4].

Les recherches archéologiques sur le territoire d’Anneville-Ambourville ont révélé une concentration importante de vicus, autrement dit des bourgs, d’époque gallo-romaine probablement liée au rôle commercial joué par la Seine dès l’Antiquité.

[1Trésors archéologiques de la Haute Normandie Jacqueline Delaporte, Michel Mangard, 1980.

[2Titulature : inscription autour de l’effigie de l’empereur définissant ses titres.

[3Minimi : monnaie de 13 millimètres de diamètre maximum alors que minimissimi ne mesure que 7,6 millimètres. La diminution du diamètre et de la teneur en argent sont liés à l’inflation galopante déjà à cette époque, elle n’a cessé de se dégrader depuis Néron jusqu’à Dioclétien.

[4Histoire et numismatique en haute Normandie, cahier des annales de Normandie N° 12 A, 1980