pressoir

Cet énorme ensemble digne des grands musées du patrimoine normand est quasiment contemporain du bâtiment principal, comme l’atteste une marque 1776 sur la traverse haute du pressoir lui-même.

Il est constitué d’une part, de la gâte, c’est une auge circulaire en granit où l’on écrase les pommes au moyen d’une roue en bois tractée par un cheval et d’autre part, de l’énorme pressoir en chêne à levier, dit à grand-point, ou à longue étreinte. Il comporte aussi un arbre supérieur le mouton et un arbre inférieur la brebis avec double point d’appui sur les jumelles et fausses jumelles. La montée et la descente se font par une grosse vis à roue en orme.

Pressoir à Cidre

Ce pressoir aux dimensions extravagantes est le seul subsistant dans la presqu’île, où l’activité cidrière était particulièrement importante compte tenu de la très forte densité de vergers en bordure de Seine. Il a fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques par arrêté du 11 décembre 1991.

De très importants travaux de restauration ont été réalisés entre 2003 et 2005, notamment la reprise des soubassements, le redressement par vérin de l’ensemble de la charpente et le remplacement de certains bois abimés. Pour terminer, les 310 m² de couverture ont été remplacés, comme à l’ancienne, par des tuiles Patrimoine des Tuileries de Pontigny-Aléonard.

La fabrication du cidre

D’après le témoignage de René Chéron, dernier fermier titulaire à La Cheminée tournante de 1957 à 1985, les pommes à cidre, la Bédane, la Binet grise ou rouge et la Doux Agnel étaient transportées dans des rasières, de grands paniers à anses en osier tressé contenant environ 25-26 kilogs de pommes. Elles mûrissaient quelque temps entreposées en vrac à l’étage du pressoir sur une bonne épaisseur, près d’un mètre.

La pressée avait lieu le soir, une fois la journée terminée pour ne pas empiéter sur le temps de travail. On pressait donc à la lampe à pétrole.

Les pommes mûries, sauf les noires, étaient déversées dans la gâte par une trappe dans la partie centrale du pressoir à roue puis pelletées dans l’auge circulaire de granit. Le cheval attelé faisait quelques tours pour que le rabot en bois accroché sur la traverse de la roue ramène les pommes concassées en face du pressoir à vis. Elles étaient ensuite transportées avec une pelle en bois creuse sur la faisselle ou l’émoy. C’est une énorme plateforme carrée en chêne avec des rebords. Sur cette faisselle on posait un cadre mobile, carré aussi, de 10 cm environ de hauteur servant à mettre en forme la première couche de pommes écrasées, appelé le marc. Celui-ci était alors recouvert d’une couche de paille de seigle. On remontait le cadre pour mettre une deuxième couche de pommes, recouverte à son tour d’une couche de paille et ainsi de suite jusqu’à faire douze plaques, soit près d’un mètre cinquante de haut. Venait enfin sur le sommet la plaque à tenons, le hec, qui évitait tout glissement latéral, puis quatre traverses en carré. Le mouton était alors descendu en tournant la roue et la vis graissée avec du suif. Il pesait d’abord de son propre poids, puis le milieu du mouton étant bloqué par les clés (chevilles) retirées du dessous pour être posées au-dessus, on accentuait ainsi la pression en tournant la vis.

Une pressée de quatre heures donnait 400 litres de pur jus, du gros cidre. Il était récupéré au seau sous le béron de la faisselle puis transvasé dans des barriques ou des futailles de 300, 500 voire même 3000 litres.

Le marc ainsi pressé était alors démonté, mis à tremper dans un grand bac d’eau pendant vingt-quatre heures, puis remonté pour la seconde pressée. Elle donnait la boisson. En fin d’opération le marc quasi sec était pelleté dans la charrette placée à la fenêtre du pressoir.

Cette opération était répétée plusieurs fois jusqu’à épuisement des 2300 rasières que donnait l’exploitation des dix hectares plantés.

La fermentation pouvait durer jusqu’à quarante jours en fonction de la température ambiante. Quand le densimètre atteignait 1013, soit environ 6 degrés d’alcool, on tirait pour mettre en bouteille, toujours en lune descendante et surtout par un jour sans vent.

Il est clair qu’autrefois une partie du cidre était vendue et partait par bateau pour Rouen ou Duclair. On le descendait en bord de Seine par le grand escalier situé en face du pressoir, le long du mur nord du jardin.

René Chéron se souvient avoir utilisé le pressoir pour la dernière fois en 1952, avant l’arrivée de l’électricité et de la presse hydraulique itinérante.

La suite de ses souvenirs paraîtra dans un prochain épisode

Source : Nicolas De Warren

Gilbert Fromager